Benoit Capponi is Arnaud Thurel’s guest. His long-term work about World War I is showed in a BOP-exclusive exhibition. It relates to the deep research work Capponi has done based on some letters from the “poilus” ( French World War I infantryman, literally: “hairy one”.) and topographic studies of war field. This certainly is an impressive piece of work.
Do not forget to turn on the information display in the slideshow and read photo captions for this series!
Benoit Capponi est invité chez BOP par Arnaud Thurel. Son travail de longue haleine sur la Première Guerre Mondiale est montré ici en exclusivité. Liées à un travail conséquent de recherche sur les archives de lettres de “poilus”, ainsi que sur la topographie des champs de guerre où se sont situées les actions retrouvées dans ces mêmes lettres, les photos de Benoit Capponi montrent dans leur simplicité le vacarme de la guerre d’une manière silencieuse mais intense.
N’oubliez pas d’afficher et de lire les légendes des photos !
Les projets photographiques viennent parfois du hasard.
On découvre quelque chose, on tire un fil et la pelote de laine finit par venir tout entière à mesure que l’on découvre un sujet. C’est ce qui m’est arrivé pour celui-ci. Tout d’abord à cause de la curiosité autour d’une lettre de famille. Dans celle-ci, un camarade de régiment expliquait à mon arrière grand mère les circonstances précises de la disparition de son mari. Les circonstances, mais aussi le lieu.
Curieux, et ne connaissant rien du site de la bataille de Verdun, je me renseignai, cherchai un peu, pour me rendre compte que peu de temps auparavant les archives militaires du premier conflit mondial venaient d’être numérisées et mises en ligne ! En croisant les connaissances de base que l’on a sur un homme, les documents de ses unités militaires, les cartes qu’elles contiennent, les cartes actuelles, il est donc parfois possible de localiser les lieux d’une histoire, d’un parcours de soldat. Il existe, on le sait, un immense corpus d’écrits de soldats, de carnets, lettres, souvenirs. Dans cette profusion de textes souvent émouvants, certains pourraient donc être localisés?
Et voilà la curiosité qui devient idée, puis finit par prendre la forme d’un projet. Celui d’une série photographique des lieux évoqués par ces extraits de texte, tels qu’ils sont aujourd’hui. Au travers des lectures, des photos d’époque, des films, de la documentation sur la vie du soldat dans le premier conflit mondial, c’est un monde que l’on découvre. Il y a une forme d’incompréhension, ou plutôt de vertige halluciné pour quiconque a parcouru
carnets et lettres, récits et souvenirs de soldats du front de la première guerre mondiale. Une sorte d’incrédulité devant ces photographies d’époque représentant des hommes, vivant ou mourant dans des paysages lunaires, détruits par le feu et par le fer. Un pressentiment qu’il est au dessus de nos capacités non de comprendre intellectuellement, mais plutôt d’appréhender dans toutes ses dimensions ce qu’ont pu être la vie, les souffrances physiques et morales, la mort de ces millions d’hommes venus du monde entier. Et pourtant, chacun des soldats de cette multitude l’a vécu, cela a été une réalité tangible. La seule évocation de morts par millions, par l’énormité du chiffre, suffit à faire toucher du doigt le gouffre qui nous sépare
aujourd’hui de la réalité vécue par chacun d’eux.
Intellectuellement c’est horrible, mais cela, avec le temps, devient de plus en plus abstrait. Qu’en reste-t-il? Que peut-il en rester aujourd’hui? Au bout d’un siècle, alors que la plupart de ces hommes sont passés, au fil des décennies, du registre de l’affectueux et du sensible des parents et des proches
à celui, désincarné, lointain, des ancêtres.
Les lieux, peut-être? Mais à quoi ressemblent-il aujourd’hui? Ils doivent être bien loin ces paysages désolés et lunaires, bouleversés, des photographies d’époque. Et pourtant c’est bien là, c’est cette même terre, ces mêmes roches qui ont été le théâtre de millions de micro drames humains. Ceux, précisément, racontés dans ces carnets et ces lettres, ces notes et ces souvenirs. L’important était de mettre au premier plan ces hommes, leurs émotions, ce qu’ils vivaient là. Très vite, des choix de présentation en ont découlé : la série devra faire totalement abstraction de
tout élément de contexte, d’histoire militaire, de toute prise de hauteur. Les mots donc, seulement les mots, de courts extraits à hauteur d’homme, au niveau de cette terre même qui a porté ce vécu. Et un dispositif formel de présentation extrêmement rigide. Après quelques essais, chaque histoire donnera lieu à un triptyque composé du texte, d’une photographie au format 4×5 pouces, et d’une seconde, plus petite, au format carré. Très vite s’est
imposée l’idée d’un double traitement de chaque lieu, de chaque récit, et les choix artistique de construction des images en une série « double », en noir et blanc argentique.
Chaque récit sera illustré par deux images, l’ensemble (2 photographies et l’histoire) étant conçu pour pouvoir se répondre sur une double page, dans une vision simultanée. Une première série photographique sera faite au grand format 4×5 pouces. Il s’agit de permettre ici une interprétation forte de la scène générale de l’histoire. Les outils de prise de vue dans ce format permettent de jouer avec la construction des perspectives, des zones de netteté et de flou. C’est de cela que viendra l’unité formelle de l’ensemble, par le biais d’un décalage par rapport à la réalité supposée qu’est censée proposer une photographie de paysage. Ici il sera à divers degrés interprété, tordu, déformé, comme marqué par les histoires qui s’y sont déroulées.
Mais il s’agit tout de même de scènes d’ensemble.
Les hommes étaient, eux, au ras du sol. Le nez dans la boue, la tête courbée sous le danger. La deuxième série photographique les y rejoint. Elle s’attarde sur des détails du terrain, elle élimine le plus souvent tout horizon, et nous laisse au niveau de la terre, celle-là même ou certain d’entre ces
hommes dorment encore. Au format carré, cette scène de détail offrira un autre niveau de perception de l’histoire ou de la scène générale.
Le choix de l’argentique est une position assumée : celle de prendre le temps, de se soumettre au rythme et à la lenteur nécessaires à une image pensée et construite, et ce dès la prise de vue. Le temps d’aller en forêt, de monter son matériel, de s’assoir sur une souche, de s’imprégner du récit qui a son théâtre ici-même. Faire peu d’images, puis continuer, des jours plus tard, dans le noir du laboratoire, le traitement des films et leur tirage. Par choix personnel, j’aime ce mode de travail exigeant en photographie, qui mobilise l’attention et interdit l’erreur. Ce projet s’y prête particulièrement, car il contient une forte charge émotionnelle et invite à prendre le temps.
Photography projects are sometimes just randomly spawned.
One discovers something, starts pulling on the yarn until the whole ball ends up unspooled on one’s lap. That is what happened with this particular project. It started out of curiosity about a family letter. In this letter, a World War I soldier explained to my great grandmother the circumstances in which her husband passed away – in which circumstances, but also where. I was curious, and knowing nothing about the Verdun fighting zone, I began to dig into it and found that the entire military archives of World War I had been digitized and put online! I discovered that by cross-referencing basic information about a person, documentation of his army corps, and vintage and current maps, it is possible to determine the exact location of a story, of some soldier’s path.
It is known that an enormous corpus of soldier’s writings exists: letters, diaries, various memorabilia, etc. But what if in this profusion of material, very often pretty emotional, one could localize some of the texts? Curiosity turned into an idea, which turned into a project. This project became a photographic series of the places described by some of these excerpts of text, photographs of these places as they are today. It is a whole world that one can discover in the letters, the vintage pictures and films, all the documentation available on soldiers’ life during World War I. There is something of an incomprehensibility, more, of a sort of hallucinated vertigo, that grows inside one when reading those soldiers’ diaries and letters. There is an incredibility in front of the pictures of those men, living and dying in moon-like landscapes destroyed by metal and fire.
One gets the sensation that it is above our capacity not to understand, intellectually, but to comprehend, to fully grasp the conflict in all its dimensions: life in the trenches, physical and moral suffering, deaths of millions of men come from all over the world. However, each of them, the soldiers, each of them had lived it, for them it was reality. One only has to mention the crude number of killed: millions; one only has to mention the sizeableness of the figure to begin to see the gap that separates us from them.
Intellectually it is horrible, indeed, but as time passes by it becomes more and more abstract. What is left of it? What can be left of it nowadays? After a century has passed, after the dead have drifted from cherished parents and friends to the disincarnated status of ancestors.
Maybe what is left are the locations? What do they look like today? They must be very different from the lunar desolated landscapes depicted on vintage photographs. However, it is the same land, the same ground, the same rocks which witnessed these millions of micro-dramas.
These places are the ones described, told, in the notes, the diaries, the letters, the memories…
It was very important to focus on the men, their feelings, what they lived there. Quite rapidly, choices of representation appeared: the series must totally render abstract the context, the military history. It must not take distance. Words only, short excerpts, close to the men, close to the land that carried their lives.
The method of representation apparatus should also be extremely rigid. After several trials, I settled on a triptych for each story: the text, a 4×5″ photograph, and a smaller picture in square format. The idea of a double treatment also emerged quickly: each location, each story will be constructed around two images, in analogue black and white negatives. Each story will be represented by two images. The ensemble is structured to be laid out on a double page, to be seen simultaneously.
The first photographic series will be shot on 4×5″ large format. The aim is to allow a very strong interpretation of the general landscape. A large format camera lets the photographer set precisely perspectives and depths of field. The coherency of the series will come from this departure from the usual plain landscape photography. Here, the landscape will be distorted, interpreted, askew, as if it was marked by the events that took place there.
However, the men had the nose in the mud, they were at ground level, hunched over in the midst of danger. The second photographic series is down there with them. Pictures will capture terrain details, most of the time removing all notions of horizon. The viewer will be at ground level, where some men still lie. The squareness of the format will also change the perception of the story or of the place.
The choice of film over digital photography is intentional. The workflow induces a timely endeavour, to give in to the slowness of the process necessary to think and create an image, starting at camerawork. It is also important to take the time to go in the forest, to walk around, set the camera equipment, sit on a tree stump and become impregnated by the scene and by the story that happened there, as if it were a theatre stage. Few images are shot and the work continues some days later in the darkroom: developing the negatives and printing. I personally like this modus operandi, which is demanding, is attention mobilizing and forbids little mistakes. This project is particularly suited for this workflow because it is emotionally charged and invites one to take one’s time.
(Translated by Arnaud De Grave, please forgive any mistakes)